vendredi 9 septembre 2011

Journal d'un carré de campagnes

Lorsqu’on examine la manière dont les forces armées françaises ont été employées depuis 1815 on s’aperçoit que l’on peut distinguer entre les opérations militaires contre un ennemi (c’est-à-dire contre un adversaire politique, étatique ou non, usant de la force armée pour imposer ses vues) et celles qui n’en comportent pas. Je propose de qualifier la première catégorie de « guerre » et la seconde de « stabilisation ». On s’aperçoit aussi que l’action des forces est orientée, soit vers d’autres forces qu’il s’agit de détruire ou de stopper, soit vers le contrôle et la sécurisation d’une population civile. En conjuguant ces deux critères, on obtient la classification suivante : 

Ennemi + objectif forces
Guerre interétatique
Ennemi + objectif population
Guerre contre des organisations non-étatiques ou contre-insurrection
Pas d’ennemi + objectif forces
Stabilisation-interposition
Pas d’ennemi + objectif population
Stabilisation-sécurisation
(intérieure ou extérieure)








Le problème majeur qui se pose est que chacune de ces formes d'emploi suppose un modèle de forces particulier. Par exemple, la force aéroterrestre américaine qui a été engagée en Irak en 2003 était parfaite pour vaincre l'armée irakienne mais beaucoup moins adaptée à l'affrontement qui a suivi contre les organisations armées.

Une armée est orientée en direction d’un emploi premier et majeur mais aussi souvent et simultanément vers un emploi secondaire. Il faut donc soit scinder la force en deux, comme l’armée française de la fin du XIXe siècle avec sa composante métropolitaine et sa composante coloniale, soit mettre en place en place un processus d’adaptation rapide, comme l’armée de terre britannique des années 1970 faisant passer régulièrement ses unités de la préparation à la lutte contre les forces du Pacte de Varsovie à la sécurisation de l’Irlande du Nord.

Un autre problème qui se pose est que l’emploi premier peut également varier avec le temps. Dans le cas de la France, la priorité dans l’emploi des forces a ainsi changé en moyenne tous les douze ans depuis 1815, à l’exception de la parenthèse 1962-1990 gelée par la menace nucléaire. Depuis la fin de la guerre froide et après un bref conflit contre l’Irak, les forces ont surtout été engagées dans des opérations de stabilisation, avant de voir réapparaître des ennemis au début des années 2000, non-étatiques en Afghanistan et actuellement plutôt de forme étatiques. L’éloignement de la menace nucléaire a ainsi fait resurgir la volatilité stratégique et le glissement le long du "carré opérationnel". Déjà les forces armées associent en leurs seins des vétérans de la lutte potentielle contre le Pacte de Varsovie, des habitués des missions de stabilisation et une nouvelle génération montante qui connaît des expériences plus violentes, notamment en Afghanistan ou en Afrique.

Une organisation est l’association d’équipements, de méthodes, de structures et d’une culture. La composante matérielle constitue désormais un pôle d’inertie car les armées seront obligées de « faire avec » les matériels majeurs (par ailleurs souvent excellents) hérités de la guerre froide pendant encore plusieurs dizaines d’années. Les adaptations indispensables pour s’accorder aux changements de priorité à prévoir tous les dix ou douze ans se feront donc surtout par les autres composantes, non matérielles. Il va falloir passer régulièrement par des remises en cause.

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