vendredi 5 août 2016

L’armée française en Afghanistan-Le Génie au combat (2001-2012). Un livre de Christophe Lafaye

Après les combats, les soldats ont souvent l’habitude de se réunir et de parler, de raconter les événements tels qu’ils les ont vécus. C’est une manière d’évacuer un peu de stress mais aussi de comprendre enfin ce qui s’est passé et quel a été leur rôle. Les erreurs y sont mieux comprises et souvent excusées, les comportements courageux y sont reconnus par les camarades. Cette reconstitution historique est importante mais seulement à cette échelle. Les unités et corps de troupe font la même chose pour raconter une opération passée, sous forme d’exposition photos dans les couloirs par exemple ou de livres souvenirs. Il n’en est rien en revanche au niveau de l’institution militaire elle-même toujours incapable, plus de cinquante ans après le début de l’ « ère des opérations », de faire un récit officiel, public et détaillé d’une seule d’entre-elles. Le « devoir de mémoire » ne s’applique visiblement pas à l’action des soldats.

Après les opérations au Tchad, à Beyrouth ou en Ex-Yougosolavie pour ne citer que les plus meurtrières, c’est désormais la guerre menée par la France en Afghanistan qui est en train de s’effacer de la mémoire de la nation sinon de celle des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui l'ont vécu. Il y a eu certes des témoignages, souvent très forts, de soldats sur leur engagement mais sans décrire l’ensemble de la guerre. Il y a eu aussi quelques travaux universitaires mais qui ne décrivait au contraire que rarement le  détail des opérations militaires. Le livre de Christophe Lafaye, qui est également une thèse d’histoire récompensée par le prix de l’histoire militaire 2014, vient faire le lien entre ces approches. L’armée française en Afghanistan apparaît ainsi comme un travail unique et précieux, combinant la rigueur scientifique et la connaissance empathique de l’auteur, officier de réserve au 19e régiment de génie, pour son sujet.

Voici donc le premier récit complet et chronologique (c’est de l’histoire) de l’engagement français en Afghanistan de 2001 à 2012, dans un aller-retour permanent entre la description politique et stratégique du conflit et l’action des unités sur le terrain, au moins celle de l’armée de terre et plus précisément celle de l’arme du Génie. C’est son premier mérite. Le principal reste cependant la description précise du combat ingrat, difficile et trop méconnu de ces combattants de la menace invisible. Car dans ces combats dits asymétriques où l’adversaire ne peut affronter trop ouvertement et trop longtemps une puissance de feu très supérieures à la sienne, c’est dans la complexité du terrain et de ses interstices qu’il mène souvent son combat, à base de pièges et autres engins explosifs improvisés d’une infinie variété, combinés ou non à des embuscades. Dans ce combat de l’ombre, où les hommes affrontent autant, sinon plus, les objets que les hommes, combat méticuleux, précis, méthodique, les sapeurs ont le premier rôle et c’est un rôle dangereux, comme en témoigne la longue liste des tués et blessés de cette arme. Le déminage, s’il a pris une dimension particulière en Afghanistan, n’est pas pour autant la seule mission du Génie. Les sapeurs français ont aussi beaucoup construit pour protéger les forces ou pour aider la population, multipliant ainsi encore les occasions de sauver les vies au péril de la leur. Christophe Lafaye met tout cela parfaitement en lumière mais ce n’est pas tout. L’histoire du Génie en Afghanistan, comme celle des autres armes, c’est aussi une histoire de l’adaptation permanente, en particulier à partir du déploiement en Kapisa-Surobi en 2008, sous contrainte de ressources rares et d’intrusion politique abondante, face à un adversaire aussi imaginatif qu’agressif. On voit ainsi se succéder souvent sur l'initiative de quelques experts les innovations organisationnelles, les introductions de nouveaux équipements, l’évolution des méthodes et la formation d’un capital d’expérience aussi remarquable que finalement fragile tant il peut être perdu facilement.

Christophe Lafaye ne rend pas ainsi seulement un hommage, aux sacrifices des sapeurs, il le rend aussi à l’intelligence. Ce livre est en lui-même un recueil de tous les efforts et tâtonnements par lesquels il a fallu passer pour parvenir à l'excellence. Il constitue donc aussi un instrument de maintien de ce même capital lorsque tous ceux qui ont contribué à le constituer seront partis. Il est ainsi important à plusieurs titres.


Christophe Lafaye, L’armée française en Afghanistan-Le Génie au combat (2001-2012), CNRS/DMPA ministère de la Défense, Paris, 2016, 502 pages. Préface du général Jean-Louis Georgelin, ancien Chef d’état-major des armées (2006-2010).

1 commentaire:

  1. Merci mon colonel pour votre recension. Le lecteur trouvera en fin de volume une chronologie complète sur l'engagement français en Afghanistan, une bibliographie, un index, un glossaire ainsi que l'appareil scientifique des faits développés dans le texte.Je poursuis mes travaux et mes collectes de l'expérience combattante des militaires français, tout en espérant que prochainement ce travail puisse s'institutionnaliser. A l'heure du tout numérique, il ne restera bientôt plus de traces des engagements contemporains s'ils ne sont pas collectés au sein des unités ou même sur les théâtres d'opération à la manière des Military History Operations de l'armée américaine. C'est une urgence. Les lecteurs intéressés peuvent retrouver mes principales publications (dont l'introduction de ma thèse avec la méthodologie, le rapport de soutenance, des articles sur la collecte de l'expérience combattante etc.) sur ma page: https://iep-aix.academia.edu/LafayeChristophe . Au plaisir d'échanger avec vous.

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